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Rockfanch

[INTERVIEW] BRUIT FUREUR

Publié le 18 Juillet 2019 par rockfanch in Interviews

[INTERVIEW] BRUIT FUREUR

Comment est né Bruit Fureur ?
* Chris : Un jour, Joris m'a dit "viens on fait une répétition à deux." On a alors fait une répétition à deux avec des textes de littérature, c'est une passion commune, et ça l'a fait tout de suite. Mais on se connaissait d'avant.
* Joris : Oui ! Avant ça avec Christelle, on avait monté une pièce de théâtre dans laquelle on était sept...
* Chris : Cinq sur scène et deux techniciens.
* Joris : C'était un format lourd pour répéter et se produire.  C'était frustrant. Ca nous a pris du temps pour se lancer. Un jour, j'ai dit à Chris qu'on allait tenter quelque chose à deux. En plus, on avait un moment à deux dans le spectacle qui fonctionnait très bien. On est parti de là

Vu que vous vous êtes rencontrés dans cette pièce de théâtre, est-ce que Bruit Fureur est un format allégé de cette pièce ?
* Chris : Non ! Dans le sens, où la pièce c'était quelque chose d'assez baroque avec de la vidéo, de la performance, du live painting et au final l'idée était de faire flotter le public dans tout ça avec un côté très psyché et immersif. Bruit Fureur, c'est l'inverse. Le minimalisme le plus brut et le plus simple que l'on puisse trouver. Une voix, encore plus minimale qu'une voix chantée puisqu'elle est parlée ainsi qu'une guitare et on y va.
* Joris : Ca raconte une toute autre histoire que la pièce. Quand on sort d'un spectacle de Bruit Fureur, on a l'impression de quelque chose de très radical dans le discours, très politique. Alors que la pièce de théâtre était plus radicale dans la forme.

C'est l'idée aussi de faire quelque chose de direct ?
* Tous les deux : Oui, c'est complètement ça !
* Chris : C'est les gens, nous et puis du bruit. Sans oublier une intensité et raconter des choses aux gens.  Ce qui n'est pas forcément évident aujourd'hui à faire. Puisqu'en musique actuelle, c'est le son qui prime sur le message. Nous c'est l'inverse que l'on veut faire. Comment faire entendre aujourd'hui des textes de la façon la plus moderne et la plus simple possible ?

Le chant en anglais met une barrière avec le public pour les groupes...
* Chris : Complètement ! Je suis très adepte de rock, j'ai écumé et sillonné les concerts. J'adore ça ! Mais à un moment je me suis dit que les mecs ne racontaient rien. C'est que des effets ... Ce n'est pas que ça bien sûr mais ça m'a donné envie de percer la distance entre le public et les gens sur scène. 

Briser le quatrième mur...
* Chris : C'est ça ! Balancer des mots et voir la réaction du public. 

En parlant de mots, quels sont les thèmes que vous abordez sur scène...
* Joris : On a pris des extraits de textes existants. Il y a des textes de Chris, de moi mais aussi des textes de littérature contemporaine. On a un texte, clairement politique, de Virginie Despentes. Un autre qui raconte l'errance du radeau de la Méduse. Un texte écologique et des choses plus métaphysiques. 
* Chris : On s'est demandé s'il y avait un point commun entre tout ça. Peut-être un côté sensitif, on pourrait dire sensuel. On ne sait pas... Mais il y a quelque chose comme ça. Dans Le Radeau de la Méduse, il y a ce truc avec le corps. Avec les gens qui se bouffent entre eux, des sensations aussi physiques qui prennent le pas sur tout. Despentes, c'est viscéral. L'extrait de Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, c'est le frisson avant de sauter dans le vide. 

[INTERVIEW] BRUIT FUREUR

Le nom Bruit Fureur, ça a un rapport avec le punk ? Le Bruit, la fureur, ça fait penser au punk
* Joris : C'est pas mal ... On pourra proposer cette définition à William Faulkner ! Bruit Fureur c'est une citation dans Macbeth de Shakespeare.
* Chris : Elle est incroyable cette phrase, c'est "La vie est une fable racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien." 
* Joris : Cette phrase a été reprise dans Le Bruit & la Fureur de William Faulkner, une histoire racontée par un idiot d'ailleurs. Ce nom nous plaisait pour deux raisons, ça peut évoquer le punk, c'est lié à la littérature qui est le cœur du projet et c'est également un bouquin américain. Et la musique qui m'inspire en tant que musicien, c'est la musique américaine. Ca faisait du sens de mélanger tout ça.

La boucle est bouclée !
* Chris : C'est ça ... Mais il y a un esprit punk dans ce que l'on fait. C'est une musique que j'aime beaucoup. Je trouve que c'est ça le défi. C'est de faire entendre des textes mais pas forcément comme c'est fait dans des lectures qui sont très polissées. Ce n'est pas du tout sensitif, ni corporel, c'est monocorde.

Interpréter le texte ?
* Chris : Voilà ! Vivre le texte. 
* Joris : Rendre le texte aussi, désagréable. "Il y a des moments où je n'étais pas bien", c'est quelque  chose qui revient souvent après nos performances. On en a un peu marre des discours lisses qui consistent à dire sur scène que "La faim dans le monde ce n'est pas bien" ou "L'argent c'est mal". A un moment, c'est facile à dire. Il y a d'autres choses à aborder dans nos sociétés et qui sont plus dérangeantes de notre point de vue. Avoir des textes féministes en 2019, c'est assez à la mode. Mais pour autant, les textes de Virginie Despentes ne seront pas mis en avant parce que c'est autrement plus cru que le dernier titre d'Angèle. 

[INTERVIEW] BRUIT FUREUR

Quelles sont vos influences musicales sur ce projet ?
* Joris : Il y a beaucoup de choses. Brel déjà. C'est un truc qui s'est peut-être perdu. Mais quand Brel écrit une chanson, il raconte une histoire. Celle-ci a un début et une fin, il te fait entendre un bout de vie dans un format très court. Après il y a les expériences de Léo Ferré au début des années 1970 quand il fini par comprendre que le rock ce n'est pas de la merde et qu'il peut en faire quelque chose. Il a écrit Je Suis un Chien, une chanson que je trouve fascinante.
J'ai aussi pris une claque avec un groupe, que je n'assume plus trop aujourd'hui, Noir Désir. Le titre L'Europe et aussi Nous n'avons fait que fuir, un titre improvisé d'une heure en spoken word. A côté de ça, dans la musique américaine, il y a des quantités de choses. Avec Tom Waits, un super raconteur d'histoire qui est aussi poète et musicien expérimental à partir du moment où il a commencé à travailler avec Marc Ribot, un guitariste que j'adule. Il y a ces deux aspects chez Waits. Des histoires très bien racontées et très bien écrites couplées à une recherche musicale totalement barrée. 
* Chris : Ce qui est cool au sein de Bruit Fureur, c'est que le duo est une vraie rencontre entre deux personnes. Les influences de Joris ne sont pas forcément les miennes.  Ou du moins, celles qui sont premières chez Joris ne sont pas forcément premières chez moi. Après on dialogue très bien et on s'apporte mutuellement en puisant dans nos univers respectifs. Moi ce sera PJ Harvey,ou les Pixies. Patti Smith dans ce mélange artistique. PJ Harvey dans le positionnement scénique, ses deux premiers albums pour moi sont des repères. Tu parlais de punk tout à l'heure et je me suis rendu compte que ça venait de manière naturelle la voix parlée dans ce style. Moi je ne voulais pas tomber dans le phrasé typique des acteurs de théâtre qui ont une façon exagérée de parler. Je souhaitais un phrasé plus "quotidien" pour m'exprimer. Quelqu'un comme Rodolphe Burger aussi, c'est une influence commune. Il a une façon de créer des ambiances sonores et de placer sa voix... C'est très intéressant.
* Joris : Après il y a aussi des influences littéraires. Les textes que l'on a choisit se rapportent à un courant littéraire très moderne. De la post modernité. On a un texte d'Alessandro Baricco, un auteur italien, de deux auteures françaises Virginie Despentes et Maylis de Kerangal. Ce sont des manières d'écriture très sensitives et destructurées.
* Chris : C'est aussi très accessible ! Avec de très belles écritures, surtout Baricco et Kerangal. C'est un langage qui n'est pas compliqué avec des métaphores qui font toujours référence aux sens... Et qui parlent à tout le monde puisqu'on ressent tous des choses. Ce ne sont pas du tout des choses cérébrales.
* Joris : C'est très frontal.

[INTERVIEW] BRUIT FUREUR

Comment vous travaillez autour de l'adaptation des textes pour le phrasé et la musique ?
* Chris : Dans les premiers textes que l'on a travaillé, Joris est parti de mon phrasé. Il me disait de l'interpréter comme je le sentais et après lui improvisait par dessus. Le dernier texte que l'on a fait, Orage, a ouvert de nouvelles perspectives. On est parti d'une boucle qu'à créé Joris et chacun a travaillé de son côté. Ca donne d'autres perspectives. Le risque avec le phrasé parlé c'est que tu as ton phrasé personnel et tu retrouves toujours le même. C'est tout l'enjeu de donner à chaque texte, une couleur particulière et de ne jamais tomber dans une litanie qui les fait décrocher ou pire, s'endormir !
* Joris : On veut toujours surprendre le public et se surprendre aussi. Ce qui me fascine en tant que musicien c'est que dans chaque lecture de texte, il y a toujours un rythme. Il n'est pas forcément perceptible, mais il est toujours là. On a tous une hauteur, j'aime beaucoup dans ces cas-là laisser parler quelqu'un et voir où sa voix se pose. J'ai fait ce travail avec un rappeur. Trouver un BPM et partir de ça. Dans le texte, j'adore mettre des marqueurs sur des mots. Jouer sur des couleurs d'accords.
Sur le texte de Baricco, qui parle de la mer, il y a un long moment où tu as des oppositions de termes entre l'horreur et la splendeur. Mettre un gros accord majeur sur chaque terme se rapportant à la splendeur, ça fait un effet d'ouverture. Je réfléchis en me disant que seul le texte prime. J'ai mes propres grilles, mais si le texte est en avance sur moi, je coupe pour suivre le sens du texte. C'est ce qui nous lie avec Chris, c'est le sens du texte. C'est drôle puisque c'est l'inverse de ce qu'il se passe en musique.

Vous allez faire une résidence à l'Espace Bonnefoy, comment va t-elle se passer ?
* Chris : On va essayer de travailler en amont pour gagner un maximum de temps. Bruit Fureur a la chance d'avoir une résidence dans un lieu super cool alors il faut travailler avant pour être le plus efficace possible pendant la durée de la résidence. Il y aura une journée minimum sur la lumière. Ce serait cool d'avoir quelque chose de froid. 
* Joris : Trouver des nouveaux textes, des nouveaux morceaux.
* Chris : Finir le côté visuel. Je viens du théâtre et avoir des gestes qui ponctuent, c'est important. Derrière un micro, la gestuelle d'un chanteur et surtout de quelqu'un qui parle, est toujours la même. L'idée c'est de proposer quelque chose de différent, à la limite du mime. 
* Joris : On avait commencé à travailler la scénographie à Rodez. Il y a des choses à faire de côté-là à expérimenter. On a tous les deux les textes sur scène pour avoir un appui et il y a moyen de faire de la mise en scène même très légère avec ça. Plus c'est léger, plus ça vaut le coup de faire les choses très précisément pour que ça ait plus d'impact.
* Chris : Il y a un côté laboratoire et on convie les gens à venir nous rejoindre dans ce monde effervescent. 

Est-ce que vous avez un scoop pour moi ?
* Chris : On a une autre date que notre résidence. Ce sera le 31 janvier à l'Espace Bonnefoy avec Miegeville pour le festival Détours de Chant. Aussi, on tient à remercier Claire la programmatrice de l'Espace. qui réserve chaque année des créneaux pour des compagnies avec des projets aventureux. 

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