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Rockfanch

[INTERVIEW] BRUIT ≤

Publié le 25 Mars 2021 par rockfanch in Interviews

Crédits : Mathilde Cartoux X Mehdi Thiriot

Crédits : Mathilde Cartoux X Mehdi Thiriot

Pourquoi ce nom de The Machine is burning and now everyone knows it could happen again pour votre album ?
* Théophile (guitare) : Le sujet de l'album est très vaste et difficile à définir en quelques mots. C'est le monde qui nous entoure sous toutes ses facettes sociales, politiques, écologiques, etc. C'est une sorte de description du monde d'aujourd'hui avec une tentative d'hypothèse de ce que pourrait être le monde de demain. C'est très global tout ça et ce titre nous semblait à propos puisque c'est un constat et ça ouvre des possibles...

La machine brûle... Que fais t-on ?
* Théophile : Ce qui est bien, sur ce disque, c'est que ça ne dit pas si c'est bien ou pas. Ca peut vouloir ce qu'on fait, comment pourrait-on arrêter ce truc là ? Ca peut vouloir beaucoup de choses. En plus c'est de la musique instrumentale, donc il n'y a pas de paroles qui vont te donner la clé. A chacun de se faire son opinion et d'analyser.

C'est plus un constat qu'autre chose
* Théophile : Il existe des discours dans l'album, mais ce n'est pas de la dénonciation. Ce sont des constats qui ont été fait. Qu'est ce que pourrait être demain ? Comment on est arrivé là ?

Trois ans ce sont écoulés entre votre premier EP, Monolith, et cet album. C'était pour faire mûrir le projet autour de cet album ?
* Clément (basse, violon) : C'est parce que l'on prend notre temps. On voulait aussi profiter de pouvoir tourner et faire mûrir ce projet comme tu dis. Malgré tout, ce n'est pas simple d'écrire des morceaux de Bruit ≤, on est très exigeant. On fait évoluer nos morceaux durant des mois voir des années. On créé quelque chose, on y touche plus pendant un certain temps et puis on se repenche dessus. Et on regarde le goût que ça a. Parfois ça vieillit mal, parfois ça vieillit bien. On fait des morceaux longs format et c'est aussi long format pour les créer.

Il y a ce souci de savoir si une partie doit être plus longue ? Moins longue ? Plus électrique ? Moins électrique ?
* Clément : Le morceau évolue en passant par beaucoup de stades différents. Tu as toujours trois ou quatre versions après la maquette originelle. Ensuite il y a la pré production puis l'étape d'enregistrement. Suite à ça, il y a l'étape de mise à plat, puis de mix. Entre toutes ses étapes il y a des débats entre nous. Il y a des choses qui sont évidentes jusqu'au mix et c'est là que ça peut poser problème. Et il peut aussi y avoir des choses compliquées à composer au moment de la maquette mais dont tout est mis en place pendant le mix. Il n'y a pas vraiment de manière de procéder. Quand il y a un doute, il n'y a pas de doute. On doit être convaincu à 100% de ce qu'on défend. Sinon on passe à autre chose, ça met pas mal de bâtons dans les roues. On veut être convaincu de la pertinence de ce qu'on raconte. On avance lentement.


Il y a une remise en question permanente...
* Clément : Une remise en question musicale et artistique permanente... 
* Théophile : On a quand même constaté qu'on allait plus vite pour composer sur l'album que sur l'EP. Monolith a été le moment où on a trouvé notre signature sonore et on a retrouvé des automatismes de l'EP pour composer notre album. On s'y retrouvait parce qu'on l'avait déjà fait avant. A l'époque de l'EP, si on avait voulu faire un long format comme cet album, on aurait mis beaucoup plus de temps. Là on a clairement quelque chose qui se dessine. Plus on travaille, plus on a des automatismes.

C'était plus intuitif, vous aviez vos repères ?
* Théophile : Totalement, même si ça ne nous a pas empêché de commencer des titres et de les jeter...
* Clément : On ne cherchait plus notre signature, on l'affinait. On cherchait on a pu se concentrer sur le fait de raconter une histoire et non plus de définir un son. Puisque ce son est déjà là. On affirmait notre son lors de la composition de l'album. 
* Théophile : On a pris des libertés aussi vu que c'était un long format. On a tenté et expérimenté des choses comme faire un morceau de dix minutes d'ambient en plein milieu du disque. 

L'album est fractionné en deux chapitres, vous pouvez nous en dire plus sur ce découpage ?
* Clément : L'histoire de cet album-là est difficile à expliquer musicalement parlant. L'histoire parle d'une civilisation qui s'effondre, renaît de ces cendres et qui fini par tomber dans les mêmes problématiques que la civilisation précédente qui s'est effondrée. Cette histoire est un conte philosophique qui raconte un cercle vicieux. Par exemple, la plus grosse contre culture qu'est le hip-hop est devenue la nouvelle pop. Hyper aseptisé, hyper codée alors que c'était dans les années 90 reliés à des mouvements sociaux subversifs. Aujourd'hui il n'y a plus rien de subversif dans la plupart de ce qu'on entend du rap. Je fais ce parallèle là qu'on peut observer dans un nombre important de médiums différents. ou d'événements historiques. L'album raconte ce cercle vicieux en deux chapitres qui sont les deux phases d'un vinyle. Industry est la chute de la civilisation, on ne sait pas si ça débute au début ou la fin... Mais on s'en fout puisque c'est un cercle. 

Quand on écoute Industry, un titre très puissant, on ressent de la douceur quand on écoute ensuite Renaissance qui a un côté plus naturel. L'écoute de cet album m'a fait penser à une autre forme d'art : l'impressionnisme. Quand on écoute on entend des notes mais aussi des couleurs... 
* Clément : C'est un des meilleurs compliments que l'on puisse nous faire, tu sais ! J'adore les impressionniste et la musique impressionniste, toute la scène musicale du début du XXème siècle : Ravel, Debussy ou Saint-Saëns, que l'on qualifie d'impressionnistes. Quand on débute la composition d'un morceau, on cherche avant tout à créer une atmosphère. On cherche l'ambiance dans laquelle mettre l'auditeur. Est-ce qu'il doit être immergé ? Est-ce qu'il doit être apaisé ? Est-ce qu'il doit être bousculé ? C'est ce qui nous importe plus que le riff bien senti.
J'aime bien me dire qu'avec Bruit ≤, on fait de la musique de films sans images. C'est ton imaginaire qui créé les contours de cette histoire. C'est ton imaginaire qui va te guider et dessiner ce qu'il veut voir. Juste en te guidant avec les titres des morceaux et aussi les voix off qui vont te faire réfléchir. Mais oui, c'est complètement impressionniste !

C'était ma question suivante concernant les voix off. Il y a deux extraits vocaux pendant cet album, qui sont les personnages qui parlent ? Est-ce que les deux discours ont pu vous inspirer pour composer ?
* Theophile : Si je me souviens bien, on a choisi les extraits plutôt en fin de composition. On a hésité entre plusieurs discours qu'on a mit pas mal de temps à trouver. Des fois c'est le thème qui nous importe, ou l'enregistrement qui est de qualité variable puisque ça peut venir de Youtube. Albert Jacquard, c'est une vieille interview qui date des années 1970 ou 1980. Ce qui nous a fait choisir les deux extraits vocaux c'est le thème, la cohérence avec l'album ainsi que la qualité sonore. Pour Albert Jacquard ça donne une impression de quelque chose d'assez vieux au niveau sonore, on trouvait ça intéressant comme texture. Le discours d'Albert Jacquard est sur le thème de l'éducation et on trouvait pertinent de l'insérer dans l'album. On ne se disait pas forcément que l'on voulait aborder le thème de l'éducation sur l'album, mais le constat qu'il fait sur l'éducation est totalement lié à l'état du monde dans lequel on vit. Il dit qu'on vit dans un monde où l'on construit les futurs destructeurs de l'environnement. 
* Clément : Qu'on monte les gens les uns contre les autres aussi...
* Théophile : Oui c'est ça, c'est un terreau pour l'injustice sociale parce que beaucoup vient de l'éducation.
* Clément : Il parle aussi du futur, du monde d'après. Aborder ça avant un morceau baptisé Renaissance, ça me semble être une jolie transition. 
* Théophile : Il dit aussi que quelque chose de plus juste serait possible, si on se donnait les moyens de le faire. Pour le second extrait, en anglais, sur Amazing Old Tree il s'agit d'un extrait de documentaire qui date de 2011 et ayant pour thème l'ELF (Earth Liberation Front, le Front de Libération de la Terre) qui était actif dans les années 1990. Ce sont des gens qui ont fait de l'action directe écologique, qui ont été à l'époque qualifié de terroristes par la CIA. Ils ont tous finis en tôle d'ailleurs je pense qu'il y en a qui y sont encore. Ce passage documentaire c'est un gars qui est sur un champ et qui montre les cercles successifs d'un tronc qui a été abattu nous expliquant que cet arbre avait du pousser à l'époque où Christophe Colomb avait découvert l'Amérique. Il dit qu'ils sont traité de radicaux parce qu'ils essaient de sauver cinq pour cent pour de la forêt américaine alors qu'en fait ce qui est radical c'est d'avoir coupé 95% des arbres ! C'est sur le thème de l'écologie et ça recoupe pas mal de choses qu'on aborde sur cet album. Sans oublier le son de l'enregistrement que l'on trouvait intéressant.

J'ai lu dans votre biographie, que cet album affirmait le lien entre nature et culture. C'est le thème des deux extraits proposés. Le discours sur l'éducation et l'extrait de documentaire concernant l'écologie.
* Theophile : Oui c'est Industry et Amazing Old Tree tu vois. On a essayé de créer un fil conducteur entre ces deux thèmes qui se rejoignent. 

Crédit photo : Mathilde Cartoux

Crédit photo : Mathilde Cartoux

Est-ce qu'on peut dire que c'est un album engagé ?
* Théophile : Je pense que n'importe qui est affecté par la situation actuelle du monde dans lequel on vit. Qu'on le veuille ou non, on est engagé. On n'est pas en train de dénoncer ou de revendiquer sur cet album, mais il dénonce dans le sens où on interroge.
* Clément : Il est engagé dans le présent. Pour moi la musique non engagée est un mensonge.

Pourquoi ?
* Clément : Tu vis dans un monde et ça a un impact sur toi. Tu créés dans ce monde là. Et ça ne veut pas dire que c'est revendicatif, c'est engagé dans un présent. Notre présent. Si on revient aux impressionnistes, il n'y a pas de postulat politique revendicatif mais leur manière d'aborder la représentation de la nature différemment de leurs aînés a un rapport avec la manière dont on voyait le monde à cette époque là. Les gens qui font de l'art abstrait, même si ce n'est pas un art engagé, c'est ancré dans un présent. On voit l'abstraction ou l'impressionnisme après la Seconde Guerre Mondiale. Ca a un sens politique qu'on le veuille ou non. On est engagé dans notre époque en étant des éponges. Le monde qui nous entoure nous créé des émotions qui génèrent ensuite notre musique. Ce n'est pas un album revendicatif, mais c'est un album qui est engagé. 

Un album qui questionne
* Clément : Oui voilà, c'est un album qui questionne aussi. Pour moi, les artistes qui disent qu'ils ne sont pas engagés, pour moi c'est une connerie.
* Theophile : Je pense que c'est très français de dire qu'un artiste ne doit que divertir. Que s'il donne son opinion ça ne va pas le faire. Je ne dis pas que c'est bien ou mal, mais chez les anglo saxons, il y a cette culture d'utiliser son aura pour dire aux gens d'aller voter. Avoir des gens qui t'écoutent, c'est une responsabilité. Il fait en faire bon usage et assumer ses convictions. Il y a une grande part d'art et d'abstrait dans l'album mais on ne veut pas faire que de l'abstraction pendant tout l'album en se bridant sur tout le reste.


Vous laissez une part de liberté à l'auditeur pour se faire son chemin de reflexion sur l'album en lui donnant des clés quand même ?
* Théophile : Oui, on donne des indices avec les discours ou le titre de l'album ou des morceaux. Après il n'y a rien de concret qui va t'expliquer le sens profond de tel ou tel titre. Il n'y a pas de clip qui déroule un synopsis. C'est aussi le but des longs formats instrumentaux. C'est que chaque auditeur puisse se laisser pénétrer par les émotions et créer sa propre histoire dans sa tête. 

[INTERVIEW] BRUIT ≤

Pourquoi avoir clippé Renaissance et surtout pourquoi avoir pris un format vertical pour l'image du clip ?
* Clément : C'est le seul titre de l'album que l'on ne va pas pouvoir jouer en live. On adore ce morceau et on voulait le mettre en avant. Il était pertinent pour nous de prendre ce titre et d'en faire quelque chose d'important que l'on veut dévoiler à notre public. On aura pas la possibilité de le défendre en live... On a choisi ce format puisque c'est un rappel de la pochette de l'album qui est sur le même cadrage que ce clip qui a été fait par Mehdi Thiriot.
D'un point de vue symbolique c'est un cadrage resserré et étriqué. Il rappelle le format d'un téléphone portable mais il ne parle que de la nature. De par notre histoire humaine, l'humanité fait entrer la nature dans une boîte et la modèle pour que ça puisse rentrer dans cette boîte. C'est toute cette symbolique là qui est dans ce format effectivement étrange mais qui dégage une certaine esthétique. Il y a beaucoup de choses et tout ce qui se passe hors du cadre. Ce format là permet, à certains moments, de voir des plans s'enchaîner entre des filaments de champignons qui évoluent puis un bateau qui passe dans l'eau.

Ce cadre là permet de voir très rapidement les similitudes qu'il y a entre un champignon, une autoroute, un champ de maïs parce que c'est dans ce format là. Tu ne vois que des lignes, ce ne sont que des symboles.

Pourquoi avoir choisi Mehdi Thiriot ?
* Clément : Et pourquoi pas ?
* Théophile : C'est surtout lui qui s'est proposé. On ne pensait sortir que l'audio de Renaissance à la base. 
* Clément : Mehdi c'est un copain qui nous fait tous les visuels depuis le début du projet. Il fait aussi de la vidéo et il aimait beaucoup ce morceau et nous a dit "vas-y je te fais un clip en quatre jours". Je lui ai dit que c'était un grand malade et il l'a fait. C'est l'histoire courte de la création de ce clip.

Il créé vos visuels en écoutant votre musique ?
* Clément : Ce n'est pas lui qui a pris la photo du visuel, mais c'est lui qui fait les mises en pages, les typographies aussi. C'est lui qui a fait le logo, des illustrations dans l'EP ou le vinyle. C'est aussi un typographe de génie qui comprend le projet super bien puisqu'il est fan depuis le début. J'ai eu très peu de retours à faire sur son clip parce qu'il était pile dans l'esthétique du projet.

[INTERVIEW] BRUIT ≤

J'avais une question concernant le live. Vous avez dit que vous ne pouviez pas jouer tout l'album dans son intégralité, comment vous allez faire cohabiter les anciens et les nouveaux titres sur scène ?
* Théophile : On joue Industry depuis longtemps en live, The Machine is Burning a aussi été testé en live. Et on jouait déjà l'EP en entier, on va rester avec un set comme ça. Amazing Old Tree c'est que de l'ambient donc pas joué en live et Renaissance c'est plus un souci technique. Il y a énormément d'instruments sur ce titre : de la clarinette, du vibraphone, des arrangements des cordes, de la guitare acoustique, du ukulele, du banjo... C'est juste impossible à jouer ou alors il faudrait être 60 sur scène ou que la moitié du titre soit samplée, ce qui serait dommage. On a préféré ne pas se fixer de limites pendant la composition mais en contre partie certains titres ne sont pas réalisables sur scène. Si tentez qu'on puisse remonter sur scène un jour, on croise les doigts pour que ça reprenne à l'automne.

Dernière question, pourquoi sortir une K7 en 2021 ?
* Theophile : Ca peut paraitre con mais il y a une logique. On ne sort pas de cd parce qu'on pense que ça ne sert à rien à l'ère numérique. Et on a une dématérialisation totale de la musique, par exemple là on se parle sur un ordinateur qui n'a pas de lecteur cd. Moi je n'ai même pas de quoi écouter un cd chez moi. Le vinyle c'est indispensable parce que l'objet est super et surtout c'est une belle qualité de son. La K7 c'est parce qu'on aime particulièrement le son de la bande magnétique, et on s'en sert pas mal dans l'album pour créer des textures et l'objet est sympa. Ce sera en peu d'exemplaires, le label qui sort la K7 (Medication Time) en aura et nous on en aura quelques unes pour le merch. Et ça reste un truc bonus pour les amoureux, comme nous, du son des bandes. Mais le gros des albums sera pressé en vynile et puis il y aura aussi Bandcamp en numérique. 

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